Rencontre avec l'humour : Michel Iturria


Texte Intégral du dialogue avec les lecteurs de Sud-Ouest
par Internet
le Vendredi 9 Novembre




Bonjour, J'aimerais savoir comment vous choisissez parmi tous les sujets d'actualité celui que vous allez mettre en avant grâce à vos dessins? (par goût, par importance, complètement au hasard, sur demande du journal?) et pour prolonger ma question (à part le rugby) quels sont les sujets que vous préférez mettre en dessin? merci

ITURRIA.jpgEn France, les dessinateurs sont très journalistes, ils essaient de coller à une activité assez chaude. Souvent dans la journée je vais attendre 18 h pour faire le dessin, pour le livrer vers 21h30-22 h. Mes confrères espagnols sont beaucoup plus détachés d'une actualité brûlante. Mon confrère EL Roto d'EL Pais va dessiner sur le réchauffement climatique alors qu'on n'en aura pas parlé aujourd'hui.

J'ai fait une BD sur le rugby. Aujourd'hui on ne peut pas dire que j'aime dessiner sur le rugby, je suis même navré de voir ce que ce jeu est devenu. Ce qui m'intéresse dans le dessin, c'est de faire passer des choses régionales. L'endroit où l'on dessine n'est pas indifférent. En Aquitaine, politiquement on a toujours été girondin opposé au jacobinisme parisien, et moi comme Basque, ayant épousé une Corse, pour aggraver mon cas, ces idées "girondines", j'aime bien les faire passer dans le dessin.

Sur le rugby, par contre, j'ai fait quelques dessins ces temps derniers sur la Coupe du monde, je me suis même amusé à tondre Chabal.

Agur, Il y a quelques années, dans l'édition électronique de SO, il y avait la question "Voulez vous que le dessin d'Iturria apparaisse sur la une de l'édition électronique de SO ?". Malgré une réponse positive > 90 %, on ne l'a jamais vu, pourquoi ? Merci

itu-genie-telecom.jpgLa question est à poser à la rédaction en chef et Internet. Les dessinateurs des journaux sont des personnages tout à fait clandestins. Moi par exemple, je ne suis pas physiquement au journal, sauf aujourd'hui!, et j'envoie les dessins et donc ça donne un statut un peu clandestin. D'ailleurs ce clavardage avait été programmé -je l'ai vu dans le journal d'hier- un jour qui n'existe pas, le vendredi 8 novembre 2007, donc tout ça me semble assez logique.

Sincèrement je regrette de ne pas être sur le journal. On me précise qu'au printemps le dessin sera bien là sur la version Net. Mais comme dit Pasqua, les promesses n'engagent que ceux...

Bonjour, a quelle adresse web peut-on trouver l'actualité et les dessins d'iturria?

BOnjour, Iturria est peu présent sur la toile Web. A quand une vitrine avec des infos sur l'activité du dessinateur et pourquoi pas quelques dessins publiés de temps à autres? Beaucoup de dessinateurs publient leurs oeuvres sur le net, notamment sur infosMatin. Merci

Comme vous le remarquez je ne suis pas encore très sensibilisé au monde Internet , j'éprouve une jouissance certaine à faire crisser des plumes sur le papier et je me dis qu'un jour il faudra bien en passer par là... C'est vrai que depuis 1994, j'ai bien appris à me servir d'un ordinateur pour mettre les dessins en couleur. Je reconnais que je vais tous les jours sur le Net voir les dessins de types pour qui j'ai une grande admiration, des dessinateurs espagnols ou anglais, mais je dois dire aussi pour être honnête que je vois aussi quantité de choses "merdiques" qui me laissent un peu dubitatif.

question très pratique ! je me régale avec vos dessins chaque fois qu'il en parait dans sud-ouest et je les scanne pour les montrer à mes amis...j'écris un blog qui en est à son 200° article et j'aimerais de temps en temps illustrer un propos avec l'un de vos dessins ! Comment faire ? Me suffit il d'en indiquer la provenance pour avoir le droit de le faire ?

On retombe sur la demande classique de l'utilisation de dessins. Pour ne rien vous cacher je suis assez large dans ce domaine. Mais j'aime quand même bien savoir l'endroit où va être le dessin, ce qui va être écrit autour. Le mieux est de prendre contact avec moi: contact@sudouest.com

Y a-t-il encore une place pour le dessin de presse dans les journaux quotidiens? Qui voyez-vous émerger dans les jeunes générations?

Je suis un peu inquiet du sort du dessin dans la presse. J'ai parfois l'impression que les dessinateurs politiques sont une espèce en voie de disparition. Quantité de journaux s'en passent. Qui arrive dans les nouvelles générations? J'aime beaucoup un garçon comme Tignous, mais c'est plus du tout un jeune homme. Dans les tout nouveaux, beaucoup de jeunes gens se tournent vers la BD ou la vidéo.

Il faut dire que quand j'étais gamin, Sud Ouest, le dimanche, publiait deux grandes pages de dessins. Il y avait tout une école du dessin d'humour français avec les Chaval, Sempé (ces deux étaient Bordelais). Peu à peu les journaux ont demandé aux dessinateurs d'humour de faire de l'humour appliqué, c'est-à-dire de commenter l'actualité, de devenir journalistes.

Les gens de ma génération, Plantu, Cabu, qui est un peu plus âgé, ont fait ça avec bonheur parce que nous sommes une génération très politisée. Aujourd'hui à part Jul, Riss, de Charlie Hebdo, je ne vois pas beaucoup de jeunes aller vers ce métier.

Peut-être que le futur sera le Net.

est ce que vos dessins sont le fruit d'un travail d'artisan ou d'une inspiration d'artiste

J'entendais l'autre jour un monsieur qui s'occupait d'art conceptuel sur FranceITU711011.jpg Culture. On lui demandait ce que c'était que l'art, il a répondu que c'était ce que produisait un artiste. On lui a demandé ce qu'était un artiste , il a répondu que c'était quelqu'un qui produisait de l'art. Mon boulot c'est la contemplation des différentes incongruités, stupidités, billevesées de la vie et l'expression artistique qui en découle. Les dessinateurs -déjà en France on ne sait pas comment les appeler- on ne sait pas si ce sont des caricaturistes, des dessinateurs d'humour, satiriques, il n'y a pas de mot.

Les Anglos-Saxons sont beaucoup plus pragmatiques, que vous fassiez de la BD, du dessin animé ou du dessin politique, ils vont vous appeler cartoonist. J'aime bien, je me ressens assez comme un cartoonist. En fait je crois que je suis un journaliste qui dessine.

Avec l'humilité du journaliste vis-à-vis de la chose artistique.

Quant à la recherche de l'idée, c'est un travail curieux qui se fait à partir de feuilles blanches, de propositions qu'il faut faire s'entrechoquer, d'un travail de mémorisation, et l'idéal étant d'arriver à se surprendre soi-même. C'est ça le plus long dans mon boulot. Le dessin lui-même c'est du dessert. Quand je dessine, c'est un vrai plaisir, encore que je regarde toujours la montre.

Les dépositaires de Sud Ouest ne peuvent pas me procurer vos albums des Rubipèdes. Pouvez vous me dire s'ils sont épuisés et si non, où je peux les trouver ?

Bonjour, Avec tout le tapage de la coupe du monde de rugby, avez vous prévu de ré-éditer les albums des Rubipèdes ? Il me semble qu'à aujourd'hui, ils sont introuvables. Par avance merci.

itu-rubipedes.jpgEh bien les premières éditions étaient épuisées, Glénat les a republiées, et c'est épuisé à nouveau. Je n'ai pas voulu refaire de tirages pour la Coupe du monde parce que je voulais apporter quelques retouches aux premiers albums, donc j'ai préféré attendre. On a été submergé par tellement de choses sur le rugby...

Ca m'a permis de voir que les Rubipèdes avaient des successeurs et qu'il y a de nouvelles BD sur le rugby que j'ai découvertes à l'occasion de cette Coupe du monde et j'ai trouvé ça vraiment très mauvais. Avec les Rubipèdes, je me suis bien amusé. Je les ai amenés à Pilote et Goscinny, contre l'avis de sa rédaction parisienne les a pris. Ils ont été publiés dans Pilote. Six mois après Goscinny est mort... Donc exit les Rubipèdes.

Je les ai dessinés un peu tôt parce que peu de temps après, Perdriel qui était le PDG du Matin de Paris était intéressé lui aussi par les Rubipèdes. Ca se passait dans les années 70. Il avait demandé à sa rédaction parisienne ce qu'était le rugby et ses journalistes lui répondaient systématiquement que c'était un truc de gros sauvages qui se cassaient la figure dans le Sud Ouest. Donc j'étais arrivé un peu tôt.

Ils ne savaient pas que c'était toute une culture, un monde propice à écrire, à dessiner.

Aujourd'hui ils en ont fait un sport...

Une éventuelle reprise de la B.D. est-elle à l'ordre du jour? Certains écrits ayant servi de base au spectacle d'Eric Sanson (Simon, etc..)par exemple pourraient donner quelques idées de départ de nouveaux scénarii.

Oui mais si je redessinais les Rubipèdes, j'ai peur que ça soit un amer. Parce que quand j'ai dessiné ces huit tomes dans la décennie 70-80 je les aimais. Et aussi parce que, qui aime bien châtie bien, j'ai laissé un genou au rugby. Aujourd'hui ça ne m'intéresse pas trop. Par contre j'ai le souvenir d'une adaptation théâtrale d'une série pour Sud Ouest qui s'appelait "Grabouilleau", ça c'était marrant.

quand vous sortez un album , est ce à titre personnel ou pour le compte du journal ?

Le journal fait fonction d'éditeur. Donc ce sont des rapports classiques auteur-éditeur régis par les contrats d'édition.

Comment choisissez-vous les dessins qui sont publiés chaque hiver dans votre album annuel?

Je fais six dessins par semaine, au bout de l'année ça en fait un paquet. Il faut donc "écrémer". C'est moi qui fait ça, de manière brutale.

Pourquoi ne pas rejoindre une plateforme spécialisé dans la publication de dessins d'actualité?

iturria1.jpgComme vous le verrez sur la photo -vous voyez que je ne suis pas un perdreau de l'année!-, pour moi le dessin c'est avant tout du papier. J'aime beaucoup faire des livres. Bizarrement certains dessins publiés par Sud Ouest m'échappent complètement. j'ai un copain qui habite à 800 km d'ici, le lundi où j'avais publié un Chabal tondu il m'a téléphoné parce qu'il avait vu ce Chabal tondu. Quelqu'un l'avait scanné, envoyé, c'est bizarre.

Que pensez vous des évènements viticoles de 1907 et pourriez vous nous chanter « Salut à vous, braves soldats du 17ème » ?

Je vois d'où vient la question. Puisqu'il y a un festival de dessins, une rencontre de quelques vingt dessinateurs, qui va se passer à Castelnaudary qui a pris pour thème la révolte des vignerons de 1907. Quand les organisateurs m'ont demandé de leur redessiner l'affiche, j'ai vraiment pris ça pour un grand honneur parce que ça rejoignais ce que je disais précédemment, sur ces dessins girondins que j'aime bien faire face aux jacobins. Cette révolte occitane a été une des dernières grandes révoltes occitanes. Clémenceau avait envoyé la troupe. Il y a eu cet événement superbe, des soldats du 17e d'infanterie qui mirent la crosse en l'air devant les populations du Midi pour ne pas leur tirer dessus.

Effectivement, ça fait partie de ma mythologie personnelle, j'ai bercé mes enfants en leur chantant "Salut à vous braves soldats du 17e". AU point de vue endormissement, c'est pas ce qui se fait de mieux, mais par contre dans le couplet il y a une phrase: "On ne doit pas tuer ses père et mère." Ce qui me semblait judicieux de faire pénétrer dans ces crânes enfantins...

Je vous le chanterais bien mais c'est là qu'on touche aux limites du Net.

Quel sera le sujet du dessin de demain dans Sud Ouest?

Par rapport à mon travail quotidien, j'ai triché, comme je le disais plus haut, j'attends en principe 17-18 h pour choisir le thème. Là il fallait venir clavarder à 17 h le vendredi 8, un jour qui n'existe pas, ce qui fait que j'ai donc fini le dessin beaucoup plus tôt.
ITU711091.jpgPour demain j'ai fait le retour de Sarkozy des Etats-Unis.

On parlait tout à l'heure de redessiner les Rubipèdes. Dans ces années 70-80 je menais de front dessin humoristique et cette BD hebdomadaire; C'était assez lourd. Aujourd'hui ce ne serait plus possible. Depuis la chute du mur de Berlin un foisonnement d'actualité se déverse sur le pauvre dessinateur et sur tout le reste du monde d'ailleurs.
C'est impressionnant. J'imagine que dans les rédactions le nombre de dépêches a dû être multiplié par dix. Le dessinateur par contre est généralement chez lui et ses moyens d'information sont ceux du citoyen de base. De nos jours ça c'est décuplé.

Entre les multiples chaînes de télé et Internet, effectivement je crois que l'essentiel de mon information vient d'Internet. Ceci étant dit, les dessinateurs ont besoin d'une banque de données iconographique large parce que avant-hier je dessinais un bateau de pêche, il faut que je dessine la grotte de Lourdes, Internet permet de trouver des choses intéressantes. J'ai moi-même un système d'archives que m'avait conseillé de constituer un vieux dessinateur de BD quand j'étais gamin qui consistait de ne jamais jeter un magazine sans y avoir découpé des photos. L'autre jour un copain est venu me voir pour une photo d'un pou.

où et comment se procurer vos albums ?

Les services de diffusion Sud Ouest les répandent sur la zone du journal. Je sais que le nouveau sera mis en place à partir de mardi prochain. On peut se le procurer sur sudouest.com Il s'appelle "Ca empire". J'ai dessiné sur la couverture un Sarkozy Bonaparte parce qu'il y a une rencontre intéressante. Le président est en train de nous faire du bonapartisme et que c'est bien pratique pour un dessinateur.

J'ai été ravi de passer un moment à répondre à ces questions, mais je me livre de temps en temps à des séances de dédicaces et j'aime bien le contact avec le lecteur. Pour les journalistes, le lecteur est un personnage mythique et dans ces séances de dédicaces j'en affronte des quantités avec parfois des rencontres très amusantes, touchantes. Ils m'amènent un vieux dessin qui les a fait rire et ils me demandent de le dédicacer. Je suis souvent surpris de voir que tel dessin avait pu toucher quelqu'un. Moi je les oublie parce que j'en ai fait bientôt 12 000. Peut-être que j'arriverai à en faire encore quelques milliers...

 

Michel Iturria

logo

© Iturria

Né à Bordeaux, en 1946, Iturria suit des études de droit, avant de placer ses premiers dessins dans Sud-Ouest. Dans la foulée, il collabore à de nombreuses publications comme L’os à mœlle, Lui ou encore Le Canard sauvage, Télérama ou Pilote. En 1972, dans le journal de Goscinny, il donne naissance à sa fameuse bande dessinée Les Rubipèdes qui lui offre l’occasion de marier son amour du dessin et du rugby. En 1974, il est définitivement embauché par Sud-Ouest pour fournir quotidiennement un dessin inspiré par l’actualité. Un exercice hautement périlleux, mais dont il se tire avec talent depuis près de trente ans. Récompensé par le Grand Prix de l’Humour Vache en 1989, il illustre sur Antenne 2 les soirées électorales des Présidentielles de 88 et des Européennes de 89.
À l’égal des Plantu et autres Cabu, sa signature, devenue incontournable, le classe parmi les plus grands dessinateurs de presse actuels.

Contact :

Arpel Aquitaine
137, rue Achard
33300 Bordeaux
Tél. : 05 57 22 40 40
Fax : 05 57 22 40 49

Bibliographie

T’as compris le coup, texte Verdet, J et D, 1996

Grabouilleau, sc. Bourgeyx, Castor Astral
t 1, La Vie comme elle vient, 1988

Les Rubipèdes, rééd. Glénat, 1994
t 8, Les Dieux du stade ont soif, auto-édition, 1988
t 7, Opéra bouffes, auto-édition, 1987
t 6, Une levée de boucliers !, auto-édition, 1986
t 5, Bille en tête, auto-édition, 1986
t 4, On se calme !, auto-édition, 1984
t 3, Ça tourne pas rond !, auto-édition, 1983
t 2, Chaud devant, auto-édition, 1982
t 1, On a gagné, auto-édition, 1981

Dessins politiques, journal Sud Ouest :
Attention fragile, 2002
Sortez couvert, 2001
Noël au goudron, paques au prion, 2000
Vous allez voir ce que vous allez voir, journal Sud-Ouest, 1999
On ne rit pas, journal Sud-Ouest, 1998
Je le ferai plus, journal Sud-Ouest, 1997
… Alors heureuse ?, journal Sud-Ouest, 1996
D’une courte tête, journal Sud-Ouest, 1995
Ni Dieu ni maître, journal Sud-Ouest, 1995
Y’a pas photo, journal Sud-Ouest, 1994
Gardarem lou béret, journal Sud-Ouest, 1993
Tout à fait Édouard, journal Sud-Ouest, 1993
Au plus près…, journal Sud-Ouest, 1992
J’ai dix ans !, journal Sud-Ouest, 1991
Un monde au poil, journal Sud-Ouest, 1991
Un dépôt de bilan… globalement positif, journal Sud-Ouest, 1990
Ni, vu, ni connu, journal Sud-Ouest, 1986
Des malentendus, journal Sud-Ouest, 1986
Y’a un espoir, auto-édition, 1983
Pendant les travaux, la crise continue, journal Sud-Ouest, 1978
Pendant les travaux, la crise continue, Féret, 1978
Toi y’en a provincial mon-z-ami, journal Sud-Ouest, 1976

 

 itu-culture1.jpg

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :