Chant Grégorien II

Publié le par MICHEL

Après les années passées dans l'ambiance feutrée de l'"abbaye" je suis externe dans le collège catholique de ma ville et habite avec mes parents.
A la paroisse, le Dimanche, la messe chantée était à 11h et présidée par l'Archiprêtre tout de violet vêtu elle était animée par une "schola" qui du haut de la tribune entrainait l'assistance..
La place du Grégorien était déjà bien réduite : certes on chantait encore le "Kyriale" de la messe des anges et tout le monde donnait de la voix...mais pour le reste c'étaient des cantiques à valeur très inégales vestiges d'une "mission" ou composés (parole et musique) par l'un ou l'autre Prêtre qui dans le diocèse avait la réputation d'être musicien..
Sortant frais et moulu du monastère, je demandais aux Prêtres de la paroisse que je cotoyais pourquoi on ne chantait pas davantage de Grégorien..Trop difficile disaient ils..il faudrait beaucoup de temps et de travail pour que de toutes façons seul un petit groupe puisse arriver à un niveau suffisant ; on était à la fin des années 50, des éléments de réformes avaient été mis en oeuvre dans la liturgie : introduction de traductions françaises des textes, refonte de la liturgie de la semaine sainte...: le souci de ces Prêtres étaient que l'assemblée liturgique participe le plus possible au chant et par ailleurs ils avaient incontestablement le souci de la qualité de la liturgie dans son ensemble et du chant en particulier.
Dans certaines paroisses, l'assemblée des fidèles ne pouvant entrer valablement dans le chant des pièces du Graduel, ce rôle était confié à des "chantres"...Sans doute y en avait il des bons ! Mais ces braves personnes qui pratiquaient le chant Grégorien depuis quelquefois des décades l'avaient complètement défigurés.
Chaque année le jour de l'Adoration, ma grand mère allait jouer de l'harmonium dans la paroisse d'un ancien vicaire de chez nous ; elle m'emmenait et je me souviens de ces eructations du chantre dans lesquelles il aurait fallu entendre le "Cibavit" (Introït de la messe du Saint Sacrement) qui avaient pour seul effet de faire vibrer les toiles d'araignées de la voûte et mettaient ma grand mère qui essayait  d'"accompagner" dans des états de colères comme seuls des musiciens peuvent en connaître.
Dans la paroisse de ma grand mère, l'assemblée liturgique était nombreuse et extremement participative : il y avait un tel volume de voix que l'on avait peu à peu laissé de côté la traditionnelle messe des anges pour chanter les messes de Dumont qui permettaient davantage aux voix de se lâcher...et vraiment c'était impressionnant ; certes, la prononciation du latin était massacrée, personne ne percevait quoi que ce soit du sens des paroles chantées, mais il y avait là quelquechose de très fort et de plein où tout le monde se sentait partie prenante.
Dans ces années là où peut être une envie de plus grande authenticité dans la liturgie, ses signes ses paroles et ses musiques se manifestait davantage, le curé de la paroisse, pas très musicien il est vrai, ma grand mère qui tenait l'harmonium, mon oncle et mon Père qui étaient un peu connaisseurs essayaient de reintroduire du "vrai grégorien" pour les grandes fêtes..Je me souviens de ces soirées interminables où les braves gens du village volontaires étaient initiés à la lecture des neumes, des salicus, porrectus climacus et autres quilisma sans que personne ne puisse bien les initier qui connaisse vraiment le sujet...et avec beaucoup d'efforts (et de disputes) on arrivait finalement à une bouillie sans forme à vous dégoûter pour la vie de chanter du Grégorien..et en définitive, le curé demandait à mon oncle de chanter en "solo" : il le faisait pas mal mais peut être les personnes qui avaient travaillé et répété étaient elles un peu frustrées...
Une pensée sacrilège traversait mon esprit (moi qui était fana de Grégorien) Et si les personnes qui étaient là à longueur de soirées à passer du temps pour essayer de sortir quelques notes convenables avaient passé le même temps à s'instruire et à réfléchir sur leur vie de Foi ?
Le curé de l'époque qui gonflait les ballons avant les match de foot, qui passait triomphant dans la rue devant la clique (fanfare) du patronage et restait des soirées entière à travailler son Grégorien puis d'autres soirées encore à essayer de faire chanter  les autres n'aurait il pas pu prendre un peu de tout ce temps pour animer des groupes de formation ou de reflexion et ainsi nourrir la Foi de ses ouailles ?
Déjà, à cette époque, je me posais des questions et me demandais si il ne fallait pas accepter des évidences et chercher pour l'animation de la liturgie et la participation des fidèles..autrechose que le Grégorien..
Heureusement, il y avait le collège : nous étions deux cents élèves, il y avait vingt prêtres dans le corps professoral parmi les quels deux professeurs de musique et de chant ; ils avaient formé un groupe, la "schola" où on faisait du travail presque d'aussi bonne qualité que chez les moines ; la schola animait la messe dominicale et son Grégorien était de qualité..pourquoi ne pas avouer que j'y prenais plaisir ! C'était beau..à ceci près que si la vingtaine d'entre nous qui chantait après avoir été selectionnée..les autres écoutaient ou du moins étaient sensés écouter...
C'est alors qu'en plus des cantiques traditionnels souvent héritiers d'une mystique un peu hermétique bien qu'ils étaient en Français, le prof de chant nous fit connaître les premieres composition de Lucien Deiss ; ce prêtre, religieux spiritain était aussi spécialiste de la Bible et il proposa aux assemblées liturgiques des compositions polyphoniques (ou non) reprenant les textes liturgiques, les psaumes, traduits non seulement du latin mais pour la plupart des langues bibliques (Hébreu et Grec)...Ces musiques étaient riches, pouvaient être avantageusement accompagnées par les orgues mais aussi des instruments d'orchestre..L'alternance de couplets et de refrains permettait de maintenir le niveau de qualité (couplets éventuellement chantés par des groupes plus réduits et mieux formés, refrains chantés par la foule)...
Il m'apparaissait de façon incontestable qu'il y avait dans ces compositions une grande richesse : possibilité d'enrichir la liturgie et peut être améliorer sa beauté, possibilité d'une vraie catéchèse à partir des textes chantés, et forcément participation plus consciente des fidèles ... grâce aussi au chant...
Peut être dans les années qui ont suivies a t on introduit dans la liturgie des chants et des musiques qui aujourd'hui ne plaisent pas à Benoît XVI...(nous en parlerons plus tard) mais avec Lucien Deiss, Joseph Gelineau dont le travail sur le psautier a été exceptionnel, David Julien, Alexandre Lesbordes autour de Lourdes, Dom Clément Jacob  et quelques autres les assemblées liturgiques ont eu à leur disposition  des musiques et des chants  d'une très grande qualité  esthétique en même temps que d'une profondeur spirituelle propre à mieux éduquer et nourrir les fidèles, à leur permettre de chanter des mots et des phrases proches de leur vie, de leur expérience humaine..

Publié dans Liturgie Musique

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